lundi 22 décembre 2008

Ville de passage

Saint-Denis
Pas vraiment la France et pas ailleurs non plus
On n’est pas à Paris, pas au Maghreb, pas en Afrique
Malgré la boulangerie et les boucheries hallal
Pas en Turquie et bientôt pas en Pologne
Pas l’Europe de l’Est, pas le Québec
Malgré mon accent
Mais un peu de tous ces pas mis ensemble
Tous ces accents mis ensemble
Qui passent

De toute façon c’est la banlieue
Donc ce n’est pas vraiment Paris
C’est surtout l’Île-de-France
Mais ce n’est surtout pas Neuilly
Surtout pas Versailles
Pas Montrouge non plus
C’est surtout nulle part
On dirait qu’il n’y a que Saint-Denis
Pour être comme ça
Que pas

Alors avec tous ces pas qui passent ensemble
On n’est peut-être pas tout à fait
À Saint-Denis
On n’est peut-être pas
Parce qu’on n’y reste pas longtemps

On est à Saint-Denis de passage
Des gars se battent dans les gares
À coups de couteau
La nuit
On passe devant et on se dépêche
De retourner chez soi
Sans se retourner
Car les rues sont désertes
Face à la basilique la rue de la Rép’
D’habitude pleine de tous les peuples de la terre
De tous les visages
De toutes les mains
De tous les vendeurs de ceinture
De tous les chelous
De tous les keufs
De l’odeur du shit
(On utilise un langage qui n’est pas dans les dicos
Mais dans le cœur de Saint-Denis)
De toutes les femmes voilées
Et de ceux qui mendient
Est toute vide

Il faut rentrer chez soi, donc
Et marcher trop vite c’est suspect
L’air nerveux c’est suspect
C’est victime aussi
C’est pire
Un soir trois grands blacks m’ont demandé mon appareil photo
Et je leur ai donné
Je sais ça fait touriste
Se faire voler son appareil photo
Et les touristes sont d’abord
Des gens de passage

Mais ceux-là ne visitent pas
Le grand nulle part de la banlieue
C’est pourtant ici que terminent les métros
Qui passent dans le ventre de la ville toute la journée
Je sais que des trains dorment quelque part près de chez moi
Parce qu’on est à la fin de la ligne 13
Et on rentre le soir
La peur au ventre

Alors
Dans la nuit
On rentre chez soi
En vitesse
On rentre nulle part au fond
Parce que l’on vient tous d’ailleurs
Et c’est peut-être notre point en commun
Ici

Saint-Denis de passage
Parce qu’on y arrive toujours
Et que l’on n’y vit pas longtemps
Et si tous les pas du monde s’y retrouvent
Alors on songe peut-être qu’en fait, si :
Il n’y a qu’en France qu’il puisse y avoir Saint-Denis.